Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Arslan Chikhaoui décortique les relations entre l’Algérie et la Russie et nous explique ses tenants et ses aboutissants.

L’Expression: Quels sont les principaux enseignements que vous tirez de la visite du président Tebboune en Russie?
Arslan Chikhaoui: Merci de votre question. Il faut tout d’abord noter que la Russie est avant tout un partenaire historique de l’Algérie qui l’a soutenue avant et après son indépendance et qui l’a accompagnée durant toutes les périodes de son évolution post- indépendance et pendant les moments difficiles. C’est également un allié incontournable du fait que la Russie est membre permanent du Conseil de Sécurité avec un droit de veto et aussi un pays clé du groupe des Brics. Cette visite, à mon sens, est à objectif multiple au regard de la nouvelle reconfiguration des alliances géopolitiques. Cette reconfiguration englobe le renforcement du partenariat stratégique existant et surtout son élargissement aux questions économiques. Cela en plus de consolider le soutien de la Russie à l’adhésion de l’Algérie au club des Brics. Il est important de noter que la validation de l’adhésion à ce groupe se fait à l’unanimité.
Outre cet aspect géoéconomique, cette visite a permis de renforcer le dialogue politique et stratégique. Cela contribue à la résolution des conflits d’intensité variables qui minent le continent africain et plus spécifiquement le Monde arabe en particulier.
Il y a lieu de souligner également l’accord mutuel qui consiste à proposer les bons offices de l’Algérie pour une médiation dans la crise politico-militaire russo-ukrainienne et aboutir dans un premier temps à un cessez- le- feu avant d’entamer des négociations entre belligérants pour une paix durable comme nous l’avions précisé dans les colonnes de votre média, il y a quelques mois, et ce, compte tenu de l’expertise de l’Algérie dans la résolution des crises et conflits par la voie politique. Je citerai les exemples marquants de l’Iran et l’Irak, de l’Iran et des USA, et dans le cadre de sa diplomatie de proximité, des actions multilatérales ou bilatérales de pacification dans la résolution des conflits ou crises au Mali, en Libye, au Yémen, en Érythrée, etc).
Cette visite a pour conséquence de réaffirmer à la communauté internationale, les principes doctrinaux immuables de l’Algérie liés à la conférence de Bandung et son non-alignement ou plutôt je dirai son multi-alignement dans un monde en construction qui se veut multipolaire. La signature par les deux Présidents de la déclaration de partenariat stratégique approfondi, renouvelle ainsi le document du même type signé en 2001 et bien entendu scelle la relation d’alliance stratégique.
Sur un autre chapitre, le Forum de Saint-Petersbourg matérialise clairement l’acheminement vers la multipolarité des ensembles économiques sous la nouvelle dynamique géopolitique. L’ère de la globalisation recule progressivement

L’excellence des relations algéro-russes n’ont jamais été démenties, sur six décennies. Quels en ont été les bénéfices pour chaque pays selon vous?
Il y a bien entendu un premier bénéfice commun qui fait que les deux pays trouvent très facilement des terrains d’entente dans leur coopération. Alger et Moscou gagnent un temps précieux en négociations pour trouver des postures susceptibles de ne pas compromettre un partenariat futur. Les 60 années d’entente parfaite ont eu ceci d’important est qu’elles constituent une base très solide pour envisager un avenir économique et politique profitable aux deux nations.
Il y a ensuite, les bénéfices que tire la Russie de cette grande amitié et qui consistent en la présence en Afrique du Nord, une région stratégique, s’il en est, un allié sûr qui ne risque pas de conclure des accords nuisibles à la Russie dans la région. Si Moscou tient par- dessus tout à sa relation avec Alger, c’est qu’elle a l’assurance qu’elle ne risque pas de mauvaise surprise en Méditerranéenne occidentale.
Il y a enfin, le bénéfice que tire l’Algérie de cette relation exemplaire. Sur les 60 années, les élites militaires et civiles du pays ont été formées en Russie, dès l’accession de l’Algérie à son indépendance. Il y a bien entendu la coopération militaire. Si l’Algérie dispose d’une armée forte et respectée, c’est en partie grâce à cette amitié qui a permis à l’ANP de disposer d’un armement défensif sophistiqué. Et plus encore, la coopération avec la Russie, même s’il n’y a pas d’exemples spectaculaires, a permis à l’Algérie de confirmer son statut d’État indépendant et non aligné. L’ex-URSS n’a jamais rien imposé à l’Algérie qui a toujours maintenu des rapports cordiaux et historiques avec les Etats-Unis.
Ces 60 années de relations trouvent dans le contexte géopolitique du moment toute son importance. Dans la perspective d’un nouvel ordre mondial multipolaire, le genre de relations qui lient l’Algérie et la Russie prennent une dimension stratégique. C’est cette confiance mutuelle qui facilitera l’adhésion de l’Algérie aux Brics et une coopération algéro-russe en Afrique. Je dirai pour conclure que la coopération multiforme scelle l’amitié durable et la confiance mutuelle.
Les années 2000 ont marqué le retour de l’Algérie et de la Russie au-devant de la scène africaine et européenne. En 2002, les deux pays signent un traité d’amitié. Fallait-il y voir un signal à l’époque déjà?
Je pense sur le plan de l’analyse que les deux pays ont adopté le «Smart Power» dans leur regain diplomatique. Il leur fallait entamer un processus de ré-émergence et de visibilité au sein de la communauté internationale. La Russie comme l’Algérie sortaient de crises majeures. La première a failli disparaître en raison de grandes difficultés économiques, de l’omniprésence des oligarques tous acquis à l’Occident, d’une corruption endémique et d’une grave paupérisation de la société. Tout cela a lourdement impacté les forces armées du pays. La Russie a été sauvée par un regain de patriotisme et une reprise en main de l’État par le président Poutine. Pour l’Algérie, le processus est différent, mais par certains aspects comparable. L’expérience très traumatisante d’une dizaine d’années de terrorisme barbare a vidé le pays de son énergie vitale, là aussi, la République a failli s’effondrer n’était-ce le grand sens du patriotisme des Algériens et de la résistance de l’ANP. La politique de réconciliation nationale, engagée dès les premiers mois de l’élection présidentielle de 1999, a permis à l’État de retrouver sa place. Le «Smart Power» utilisé par Alger et Moscou a consisté à réapparaître sur les écrans radar. Il n’a pas été aisé pour l’un et pour l’autre de s’affirmer sur la scène internationale, mais les 20 dernières années ont démontré l’efficacité du «Smart Power».
La Russie a réussi à réunir plus de 130 pays à Saint-Pétersburg et l’Algérie à organiser le plus réussi des Sommets arabes de ces 30 dernières années. Et pour revenir à votre question, il faut savoir que les deux pays ont signé en 2001 un accord de partenariat stratégique en 2001.

La convergence de vues sur la quasi- totalité des questions internationales, et la coopération militaire n’ont pas favorisé un partenariat économique entre les deux pays. Quelles pourraient en être les raisons, selon vous?
En fait, à l’époque de l’Union soviétique, le bras économique de la Russie était composé des pays satellites de ce qui était dénommé «Pays de l’Est» et par conséquent, la relation économique de l’URSS de l’époque se faisait par ce biais.
L’Algérie avait certes des relations privilégiées avec la Russie, à travers notamment son programme d’armement, mais il était inenvisageable pour Alger d’être à la solde de qui que ce soit. Aussi, au plan économique, ce ne pouvait pas déboucher, d’autant que l’Algérie entretenait des partenariats avec les USA et l’Europe.
Le démantèlement de l’URSS, par la suite, et les multiples crises qui en ont découlé n’ont pas permis à la Russie d’émerger dans sa diversification économique. Elle est restée une puissance énergétique et militaire. Aujourd’hui, les situations intrinsèques, dans les deux pays, ont nettement évolué. Il fallait s’adapter aux défis économiques et géostratégiques de la nouvelle ère. Et avec la nouvelle redistribution des cartes géopolitiques, les deux pays ont ceci d’intéressant est qu’ils peuvent être complémentaires et former une alliance économique d’envergure.

Force est de constater que l’Algérie ne profite pas de transfert de technologie dans ses rapports avec la Russie. N’y voyez-vous pas une contradiction entre les discours et les faits sur le terrain?
Effectivement, le constat qui est fait sur le terrain confirme l’appréciation que vous faites des relations économiques entre les deux pays. Cela peut être lié à l’absence d’opportunité réelle.
Le temps économique et le temps politique ne vont pas toujours de pair. Il fallait certainement des réglages en Algérie et en Russie et aussi attendre une maturité des complexes économiques dans les deux pays. Autrement dit, la relation économique algéro-russe avait besoin d’un boost pour passer du discours édulcoré à l’action concrète. Et je pense que la visite du président Tebboune en Russie va dans ce sens.

La Russie a favorablement accueilli l’intention de l’Algérie de rejoindre le groupe des Brics. Quel impact cette perspective peut-elle avoir sur les relations entre les deux pays?
L’approbation de la Russie de la proposition de médiation de l’Algérie dans la résolution du conflit politico-militaire russo-ukrainien, ainsi que la voix que la Russie a donné à l’Algérie pour son accession en tant que membre non permanent au CS des Nations unies font que les deux consolident leur relation d’alliance stratégique.

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