Par Kamel Ben Younes

Universitaire et Journaliste

Faudrait il réfléchir de nouveau sur les 3 décennies du président Habib Bourguiba au palais de Carthage ?

Le moment est t il convenable pour réviser le parcours du chef du mouvement national (1934-1956 ) puis les caractéristiques de sa présidence en tant que premier chef de la république ( 1957-1987) et son « œuvre » en tant qu’intellectuel et « leader » libéral qui avait défendu un « socialisme humain » (le « socialisme bourguibiste » ?

Trente quatre ans après le « coup d’état médical » du 7 novembre 1987, le grand historien universitaire et expert en études internationales Khalifa Chater présente un « essai » dans un livre paru en 230 pages format moyen chez AC Editions , intitulé « L’Ere Bourguiba ».

Certes plusieurs études universitaires et livres étaient publiés sur l « Ere Bourguiba » et le « Bourguibisme » en arabe et en français , mais l’originalité de celui du professeur émérite d’histoire contemporaine Khalifa Chater est qu’l est rédigé par un grand historien qui avait connu de très prés Bourguiba et ses collaborateurs et partenaires tunisiens et étrangers .

Il en profite pour enrichir son livre par des témoignages inédits et tirer des conclusions.

Originaire lui-même de Monastir , ville natale de Bourguiba , Khalifa Chater est en aussi l’époux de la fameuse Souad Cater , citée par Bourguiba et ses adjoints dans leurs discours de politique sociale et de santé.

Mme Chater était la célèbre PDG ( présidente directrice Générale ) de l’office du planning familial crée par le « combattant suprême » pour encadrer les interventions de l’état dans les domaines de la planification de la croissance démographique et la santé des femmes et bébés .

Le livre « L’ère Bourguiba » présente en même temps des analyses académiques de la Tunisie d’avant 1988 ainsi que de

témoignages de valeur, notamment ceux de Abdelmajid Karoui, chef de Protocole de Bourguiba, Taher Belkhodja ancien ambassadeur et ministre de l’intérieur, Hedi Bacouche ancien ministre et directeur du parti unique…etc

Le livre rappelle aussi « l’emploi de temps quotidien » de Bourguiba, depuis sa levée à 5 heures du matin, son mode opératoire et ses relations avec ses proches ainsi qu’avec les cadres de l’état et du parti au pouvoir .

Khalifa Chater revient longuement sur les différentes étapes de l’ère Bourguiba, depuis son retour triomphal à Tunis, le 1er juin 1955, soigneusement préparé ,mentionnant comment il s’était entraîné en France à monter le cheval au port de la Goulette.

Le livre considère les années 1956 – 1980, comme la période d’apogée du régime Bourguiba, malgré certains « échecs » dont les crises socio économiques et les émeutes sanglantes en marge des grèves violentes et incidents sanglants de janvier 1978 et janvier 1984 .

L’auteur considère que les faiblesses du gouvernement Mohammed Mzali ( 1980-1986 ) avaient préparé le pays à ce qu’il appelle au « coup d’État du 7 novembre 1987 ».

La main de l’étranger n’est pas absente, souligne Chater, citant divers éléments. Au moins, les Algériens, les Américains et les Italiens étaient au parfum, avance-t-il avant le « coup ».

Il mentionne d’abord, la visite à Tunis, la veille du 7 novembre, du ministre algérien de l’Intérieur, Hédi Khedhiri, mais aussi et surtout le témoignage de l’Amiral Fluvio Martini, alors chef des services secrets italiens (SISMI), sous le gouvernement de Bettino Craxi. Dans une interview accordée au quotidien romain La Repubblica, le 11 octobre 1999, il relate avec détails la visite de Craxi à Alger en 1984 et l’inquiétude des Algériens de la déstabilisation croissante en Tunisie, les rendant prêts à intervenir, quitte à envahir la partie du territoire tunisien où transite le pipeline qui conduit le gaz naturel algérien jusqu’en Sicile… Pour éviter pareille décision, Craxi avait dépêché l’Amiral Martini à Alger, puis à Paris, afin d’envisager la succession de Bourguiba, par l’homme qui paraissait le mieux placé, Ben Ali.

Parmi les témoignages insérés en annexes figurent ceux de Sid Ahmed Ghozali, Gisela Baumgratz, l’ancien ambassadeur américain à Tunis Robert Pelletreau (1987 – 1991).

Ce dernier raconte comment il a été prévenu par Hédi Bacouche nouveau premier ministre , tôt à l’aube le 7 novembre 1987, de la déposition de Bourguiba.

Le livre enrichira la bibliothèque des historiens et décideurs politiques en Tunisie . Cependant il aurait pu être plus « équilibrée » si l’auteur l’avait enrichi par un chapitre de réflexion critique de certains choix politiques du « combattant suprême » dont son refus de passer à une plus grande ouverture sur la nouvelle jeunesse , la libéralisation des medias et au multipartisme malgré les suggestions de ses proches depuis 1971 au congres du parti au pouvoir à Monastir puis au cours du gouvernement présidé par l »intellectuel libéral Mohamed Mzali ( 1980-1986).

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