– Bien que la politique africaine de la France ait connu de nombreux échecs et résistances depuis 2017, Paris doit encore évaluer les stratégies, instruments et discours qui pourraient conduire à des changements fondamentaux dans sa politique

 

Nebahat Tanriverdi Yasar a analysé le retrait des forces armées françaises du Niger et la nouvelle dynamique qui en découle, pour le compte d’AA Analyses.

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Après des semaines de tensions avec la junte militaire au Niger, le président français Emmanuel Macron a annoncé dans une interview télévisée dimanche soir que les forces armées françaises se retireraient du pays d’ici la fin de l’année. Il y a tout juste deux semaines, Macron avait fait part aux ambassadeurs français de son engagement à défendre la démocratie au Niger. Toutefois, au fil des événements, la position de la France est devenue insoutenable.

– Le chemin qui a mené au retrait

Tout d’abord, la tension diplomatique entre la France et le régime militaire qui a renversé le président Mohamed Bazoum au Niger le 26 juillet s’est transformée en une crise à somme nulle. La junte militaire nigérienne annonce l’annulation des accords militaires avec la France et exige le départ de la mission militaire et diplomatique française [1].

La France, quant à elle, a rejeté ces demandes au motif qu’elle ne reconnaissait pas la junte comme représentant légitime du Niger [2]. Les tensions ont été exacerbées par les livraisons militaires de la France aux principaux États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), notamment le Sénégal, le Bénin et la Côte d’Ivoire. Le général Abdurrahmane Tchiani a affirmé que la France se préparait à une intervention militaire au Niger et avait déployé deux avions de transport militaire, un Dornier 328, deux hélicoptères polyvalents super PUMA et 40 véhicules blindés au Bénin depuis le 1er septembre, et qu’un navire de guerre français avait amené du personnel militaire au Bénin le 7 septembre [3].

Contrairement à ce qui s’est passé au Mali et au Burkina Faso, la France espérait que cette fois-ci, en raison de la réaction régionale et internationale, le coup d’État militaire pourrait être contré et Mohamed Bazoum rétabli dans ses fonctions. Cependant, la politique de la France, consistant à mobiliser l’ensemble du processus autour de l’option de l’intervention militaire au détriment des négociations diplomatiques [4], n’a pas trouvé le soutien qu’elle espérait de la part de ses alliés [5]. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré à plusieurs reprises et de manière explicite que la diplomatie était le meilleur moyen de résoudre la situation au Niger, indiquant ainsi que les États-Unis ne privilégiaient pas les options militaires. De plus, pour les pays d’Europe de l’Est, qui avaient précédemment proposé d’envoyer des troupes au Mali, une éventuelle escalade militaire en Afrique n’est plus envisageable en raison de la guerre en cours en Ukraine. Les partenaires européens tels que l’Italie et l’Allemagne veulent également éviter toute mesure qui les obligerait à rompre leurs relations diplomatiques avec le Niger, car la rupture des liens avec Niamey risquerait également de compromettre la lutte contre la crise migratoire croissante en Europe. Les routes migratoires actives de l’Afrique vers la Méditerranée passent par le Niger et ils doivent continuer à coopérer avec le Niger pour surveiller ces routes.

D’autre part, le fait que la France ait fermé la porte aux négociations diplomatiques et à la diplomatie détournée a considérablement limité la marge de manœuvre de ses alliés, en particulier des États-Unis. À cet égard, le retrait par la France de son personnel militaire et diplomatique du pays pourrait rendre les conditions relativement plus favorables pour les États-Unis et les pays de l’Union européenne (UE) qui cherchent à trouver un terrain d’entente par la diplomatie.

– Que feront les troupes françaises après le retrait ?

D’autre part, le retrait des troupes françaises du Niger pose un certain nombre de problèmes logistiques. Le premier d’entre eux est qu’il est très difficile de réaliser le retrait en seulement trois mois. La France a commencé l’évacuation de ses 5 000 soldats au Mali à la fin de 2021 et n’a pu achever le retrait qu’en août 2022 [6]. L’espace aérien du Niger étant interdit aux avions français, Paris devra négocier avec le gouvernement nigérien pour l’évacuation par voie aérienne [7]. De même, les itinéraires terrestres et les méthodes d’évacuation devront être négociés, car tous les équipements militaires lourds, y compris les véhicules de combat, les terminaux aériens mobiles et les hélicoptères, doivent être retirés par voie terrestre.

Le deuxième problème est l’incertitude quant au lieu de déploiement des troupes françaises retirées du Niger ou à leur retour en France. Après les coups d’État au Mali et au Burkina Faso, la France a transféré une partie de ses troupes de ces deux pays vers le Niger. À cet égard, le Niger est devenu la principale base du retrait de la France dans la région, qui a commencé ces dernières années. En outre, le Niger était censé être le principal centre des missions de sécurité des États-Unis, de la France et de l’UE [8].

Dans le cas de la France, il est possible que les troupes françaises retirées du Niger soient transférées dans des pays tels que le Tchad, le Gabon et le Bénin, où se trouvent des bases françaises. Si elles reviennent en France au lieu d’être déplacées, cette préférence politique marquera également un changement dans la stratégie de la France en Afrique. Bien que la politique africaine de la France ait connu de nombreux échecs et résistances depuis 2017, Paris n’a pas encore procédé à une évaluation de la stratégie, des outils et du discours qui pourrait conduire à des changements radicaux dans sa politique africaine. En tout état de cause, le retrait français du Niger éloignera davantage la présence militaire occidentale au Sahel central.

 

– Nouvelles dynamiques dans le Niger de l’après-France

 

Il est trop tôt pour dire si le départ de la France du Niger entraînera une aggravation de l’insécurité au Niger et au Sahel. Au Mali voisin, le départ des troupes étrangères et des Nations unies a été suivi d’une forte augmentation de la violence de la part des groupes terroristes radicaux. Selon l’indice mondial du terrorisme, le nombre de décès liés au terrorisme a chuté de 79 % au Niger l’année dernière, tandis que le Mali et le Burkina Faso voisins sont devenus les deux endroits les plus meurtriers pour les attaques terroristes. Ces deux pays ont été à l’origine de 90 % de toutes les attaques terroristes perpétrées par des organisations extrémistes au Sahel l’année dernière. En 2022, le Burkina Faso est devenu le deuxième pays le plus touché par le terrorisme dans le monde après l’Afghanistan, et le Mali le quatrième [9].

Cependant, il existe des différences fondamentales entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Au Niger, les forces armées sont les principaux acteurs de la lutte contre le terrorisme, et la France et les États-Unis fournissent généralement un soutien opérationnel sur le terrain. Par conséquent, les forces armées nigériennes disposent de meilleures capacités militaires et d’une plus grande expérience en matière de lutte contre le terrorisme [10]. De plus, l’armée exerce un contrôle territorial au Niger. Par conséquent, alors que la situation sécuritaire dans ces deux pays s’est considérablement détériorée après le retrait du soutien militaire international et régional, le Niger pourrait échapper à ce sort.

Néanmoins, les perspectives d’une lutte efficace contre le terrorisme de la part de la nouvelle administration nigérienne restent incertaines. Il est fort possible que la junte concentre son attention sur la lutte pour le pouvoir dans la capitale et que les efforts de lutte contre le terrorisme soient relégués à l’arrière-plan en raison de la légitimité du coup d’État militaire et des divisions internes au sein de l’armée. En outre, les divisions internes entre la garde présidentielle et les forces armées nigériennes, semblables à celles du Soudan, pourraient devenir évidentes. La façon dont la junte planifiera la période de transition sera donc largement déterminante.

Dans ce qui pourrait être un tournant important pour la région, suite à la menace d’intervention militaire de la CEDEAO, les trois pays de la junte militaire ont convenu, le 16 septembre, de s’entraider pour lutter contre les insurrections armées et les agressions extérieures. Le manque de coopération entre les trois pays était l’une des raisons pour lesquelles les groupes terroristes pouvaient facilement se déplacer d’une région à l’autre. Jusqu’à présent, les trois pays ont mené des opérations militaires conjointes. Cette coopération accrue pourrait exercer une réelle pression sur les groupes terroristes dans la région. L’impact négatif des sanctions imposées par la CEDEAO s’accroît, ce qui pourrait conduire à la consolidation du régime putschiste plutôt que de susciter la colère populaire contre lui à l’intérieur du pays, tandis qu’au niveau régional, cela pourrait renforcer ce rapprochement militaire régional nouvellement établi [10].

Le Niger, quant à lui, devrait suivre les traces du Mali et du Burkina Faso en signant un accord avec Wagner pour recevoir le soutien sécuritaire dont il a besoin de la part de la Russie [11]. Cependant, la décision de Moscou d’intégrer les troupes de Wagner dans l’armée aura sans aucun doute des implications importantes sur la décision future du Niger et sur le caractère de la coopération nigéro-russe. Le sentiment que la Russie perd de son pouvoir et de son influence dans de nombreuses régions où elle promettait sécurité et protection pourrait également ouvrir de nouvelles perspectives à la Chine, une autre grande puissance active en Afrique. Cela est confirmé par la visite amicale de la marine chinoise au Nigeria [12], les projets de coopération économique avec le Niger [13] et, plus récemment, l’offre de médiation [14].

 

AA / Nebahat Tanriverdi Yasar

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