« La sécurité médiatique et cybernétique, lectures et approches », c’est la thématique débattue lors d’une rencontre organisée dernièrement par le Forum de Carthage pour la sécurité et le développement. Une rencontre durant laquelle fut discutée avec une grande franchise la question des médias tunisiens par des académiciens et des journalistes chevronnés face à un parterre avisé de hautes compétences venues de différents horizons.

« Lorsqu’on demande aux répondants de nommer des journalistes auxquels ils font confiance, leurs réponses démontrent clairement que le public classe sous le même parapluie “journaliste“, “présentateurs de nouvelles“, “animateurs“, “chroniqueurs d’opinion“ et “commentateurs ».

Un constat relevé par le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval publiée en 2020 qui citait également les influenceurs qui se greffent au journalisme sous les couverts de « fins communicateurs » et qui apparaissent dans les médias de plus en plus fréquemment.

Ce constat correspond parfaitement à la réalité des médias nationaux où l’amalgame entre journalistes et blogueurs, influenceurs, “instagrammeurs“ citoyens journalistes et activistes des réseaux sociaux est monnaie courante.

Conséquence : on sème la confusion et on ne facilite pas la tâche aux lecteurs, auditeurs et téléspectateurs qui n’arrivent plus à distinguer le vrai du faux.

Dans le cas tunisien, on a vu des interventions intempestives venant d’organisations internationales américaines mais aussi européennes dans les médias nationaux, notamment les organisations professionnelles et les syndicats. Sous prétexte de former les médias profanes dans la liberté d’expression (sic), ces organisations les ont déviés de leur rôle, en faisant des instruments de propagande servant leurs intérêts et se soumettant à leurs desiderata à coup d’euros et de dollars.

Aujourd’hui, les donneurs de leçon sur l’objectivité et la neutralité journalistiques empêchent leurs populations d’entendre la voix russe, s’agissant de la guerre russo-ukrainienne, tout en lançant des campagnes contre la désinformation et l’intox. Nous ne savons plus si nous devons en rire ou en pleurer. Nous ne savons plus pour les marionnettistes du monde, les médias doivent être un moyen pour renforcer les démocraties et les protéger ou s’ils doivent être les instruments de démocraties fictives décidées par les plus forts : ceux qui détiennent argent et pouvoir !

En Tunisie, les médias sont libres. C’est ce qu’on prétend. Mais est-ce cette liberté, débridée non soumise à aucune loi de la profession que nous voulions ? Est-ce des journalistes payés à la tâche dès accomplissement de missions télécommandées par des lobbys politiques ou économiques que nous souhaitions ?

Dans son intervention, Kamel Ben Younes, journaliste de carrière, correspondant de nombre d’organes de presse internationaux dont la BBC, et consultant en relations internationales, cite l’amiral français Lanxade qui disait : « La communication est un instrument de commandement, et les directives de communication peuvent être aussi importantes que les directives opérationnelles ».

Les médias, outil de manipulation de masse !

A l’international, beaucoup d’entre nous ont vécu les campagnes de manipulation des opinions publiques dans les prétendus “printemps arabes“. Kamel Ben Younes cite 2011 les « Révolutions arabes », « proxy Wars » Aljazeera et nouveaux Groupes gouvernements MENA associés à des groupes privés prétendument « indépendants » ou d’opposition et acteurs militaires Non Gov et Groupes terroristes : Compétition et nouveaux monopoles.

C’est par des campagnes de matraquage bien étudiées et ciblées aussi bien dans les médias traditionnels que dans les nouveaux médias et réseaux sociaux que des puissances étrangères ont pu manipuler des peuples et faire tomber des régimes sous prétexte d’instauration de régimes démocratiques. Pour prétendument sauvegarder l’intérêt public, on s’est adonné à un marketing d’influence de haute facture utilisant en cela mercenaires et se jouant d’une jeunesse déçue et désespérée.

Le 21ème siècle a sonné le glas du journalisme rigoureux et a balisé le terrain pour l’entrée en scène de faux journalistes cultivant les individualités et agissant comme des stars cinématographiques alors qu’ils exercent un métier au sein duquel la notion déontologique, d’objectivité est capitale. Pour les décideurs du monde, il s’agit aujourd’hui «d’encombrer la presse, l’encadrer, la forcer à traiter quotidiennement de ce qu’on veut qu’elle traite et, surtout, la distraire de parler de ce dont on ne veut pas qu’elle parle »*.

Au Canada, on parle du développement du journalisme de personnalité qui s’impose de plus en plus dans la sphère médiatique. Les stratèges du monde sont passés des blogueurs formés dans la première décennie du 21ème siècle qu’on a substitué aux médias traditionnels aux influenceurs instagrammeurs qu’on utilise pour le caractère réaliste de leurs récits et leur capacité à créer un lien d’identification entre eux et leur public et en prime les jeunes.

Dans pareil contexte médiatique où sévit ce mélange des genres et où chaque individu peut se lever un beau matin et se décréter citoyen journaliste, influenceurs ou instagrammeurs, comment préserver les spécificités du métier de journaliste ?

Il n’est pas dit qu’aujourd’hui le journalisme tel qu’exercé depuis des siècles puisse résister aux opérations de récupération politique et aux manipulations des différents lobbys économiques et culturels et assurer une information objective honnête et éthique. C’est d’autant plus difficile dans des pays comme le nôtre aux frontières ouvertes, sans organes de régulation respectable, où l’Etat n’est pas conscient de l’importance et des enjeux des médias et où les financements ne sont pas soumis à un contrôle rigoureux.

Pour Kamel Ben Younes, il faut mettre en place un organisme qui gère et assure une répartition équilibrée des annonces publiques afin de doter les médias d’un minimum de ressource pouvant garantir leur indépendance des médias et des professionnels des médias en paroles et en actes. Il faudrait aussi criminaliser les financements illégaux des médias au national et à l’international. Ceci doit bien entendu être accompagné par l’amélioration du statut des journalistes pour que leur précarité ne facilite pas leur récupération.

Les journalistes peuvent devenir des armes de destruction massive s’ils ne sont pas bien formés et si leurs conditions de vie les rendent vulnérables aux tentations de l’argent.

Depuis 2011, nous avons assisté en spectateurs impuissants à la plus grande opération de hold-up sur les médias tunisiens.

Grands temps d’y mettre un terme ! C’est d’ailleurs le but de la rencontre organisée par le Forum de Carthage et accordée par Salaheddine Dridi, Dr en journalisme et d’autres acteurs du secteur : œuvrer à ce que les médias nationaux soient la voix de la vérité, une vérité qui éveille les consciences et rétablit l’ordre des choses et non des médias mercenaires au service des lobbys, des partis ou des puissances étrangères.

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