Dans ses relations entre le Conseil de coopération du Golfe l’Algérie sait se faire respecter

L’Algérie a toujours soutenu le droit de l’Iran à développer la technologie nucléaire à des fins civiles exclusivement.

L’Algérie s’est opposée à l’intervention de 2011 de l’Otan en Libye poussée en partie par les États du CCG, préférant un règlement politique inclusif
Nous assistons présentement à une dynamique diplomatique active des pays du Golfe en Algérie. C’est depuis février 2020 que ce ballet diplomatique a commencé avec la visite des ministres des Affaires étrangères d’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, suivie de la visite de l’émir du Qatar. En effet, l’Algérie est incontestablement un acteur régional important vu des pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Elle dispose de richesses en ressources hydrocarbures, en terres rares et en minéraux et est un membre clé de l’Opep. Elle soutient depuis longtemps les efforts de médiation politique régionale (Mali, Libye) et assume des rôles de leadership au sein d’organisations régionales comme l’Union africaine. L’Algérie rejette sans exclusive l’influence étrangère dans sa politique intérieure ainsi que dans les affaires des autres pays. Cela l’a souvent mis en contradiction avec les acteurs du CCG. Par exemple, l’Algérie a résisté au soutien du CCG aux opérations militaires dans la région du Sahel, notamment, avec la Force opérationnelle interarmées du G-5 Sahel dirigée par la France. Elle a, également, rejeté la demande saoudienne-qatarie de retirer la Syrie de la Ligue arabe et a maintenu des relations avec Damas tout au long du conflit. Elle a, aussi, fortement repoussé l’intervention militaire menée par l’Arabie Saoudite au Yémen et est l’un des rares pays à reconnaître officiellement les Houthis. De plus, elle a toujours soutenu le droit de l’Iran à développer la technologie nucléaire à des fins civiles exclusivement. L’Algérie a sans relâche critiqué le soutien de certains Etats du Golfe à la campagne de 2011 de l’Otan en Libye et le renversement subséquent du colonel Kadhafi et, par la suite, le soutien financier et souvent militaire direct aux différentes factions du conflit. Elle était particulièrement hostile au soutien précoce du Qatar aux rebelles anti-Kadhafi et à certaines Organisations extrémistes violentes affiliées plus tard à des acteurs politiques ainsi que le soutien des EAU au maréchal Hafter, basé à l’Est, qui a dirigé l’invasion de Tripoli pour renverser le gouvernement d’Accord national reconnu par l’ONU.
Perception de l’Afriquen du Nord par le CCG
Le niveau élevé d’intervention étrangère et du CCG dans les affaires de son voisinage immédiat a provoqué des craintes au sein de l’élite dirigeante algérienne d’une plus grande instabilité régionale. Les avertissements précoces des autorités algériennes sur le vide politique dangereux qui se développerait en Libye si le colonel Kadhafi était renversé de quelque manière que ce soit se sont révélés prémonitoires. Au plan des relations économiques, l’Arabie saoudite, les EAU et le Qatar opèrent depuis quelques années déjà en Algérie dans les secteurs de la gestion des ports, des télécommunications, de la sidérurgie, l’immobilier, l’hôtellerie, et des centres commerciaux. Lors de la visite du prince héritier saoudien Mohammed bin Salman en Algérie en 2018, les deux pays avaient convenu de lancer un ensemble de projets d’investissement dans l’industrie pharmaceutique, l’industrie du papier et l’industrie des jus de fruits qui semblent tous avoir stagné, depuis, compte tenu de la crise multidimensionnelle associée à la crise sanitaire de Covid-19 auxquelles le pays fait face.
Les Etats du Golfe et les Etats d’Afrique du Nord font partie d’un espace stratégique défini par des caractéristiques linguistiques, culturelles, religieuses, sociales et historiques communes. Ce sont des sous-régions du Monde arabe, et donc des membres de la Ligue des Etats arabes qui se considèrent faisant partie d’une même constellation politique. Cependant, les quatre Etats d’Afrique du Nord et les six membres du CCG se trouvent aux extrémités opposées du spectre à bien des égards. Cela commence par la géographie, mais inclut des facteurs économiques et surtout politiques qui impliquent une posture stratégique différente. En ce sens que, l’Arabie saoudite, les EAU et le Qatar ont exprimé, récemment, leurs regrets concernant la crise diplomatique entre l’Algérie et le Maroc, appelant au dialogue régional et à la coopération. Le 27 août 2021, le secrétaire général du CCG, Nayef al-Hajraf, a exprimé ses regrets pour la détérioration des liens entre Alger et Rabat et a appelé les deux pays à tenir un dialogue pour surmonter leurs différends. Etant donné que la décision a été prise par l’Algérie, un pays historiquement et par doctrine hostile à l’ingérence étrangère et où l’influence du CCG est parmi les plus faibles d’Afrique du Nord, cela laisse entendre que les Etats du Golfe ne seront pas en mesure de jouer un grand rôle pour influencer ces dynamiques.
Alors que la région Afrique du Nord connaît des convulsions, notamment, suite à la récente crise politique en Tunisie, le CCG est conscient que de telles tensions ne sont pas dans son intérêt. Selon de nombreux observateurs, la rupture des relations entre Alger et Rabat est source d’embarras pour le CCG car beaucoup de ces pays entretiennent de bonnes relations avec les deux parties. L’invitation par ces pays à dialoguer et à résoudre leurs problèmes est une indication de la position du CCG, qui hésite à prendre parti et ne voit aucun avantage à le faire. Ils préfèrent plutôt calmer les tensions et faciliter le dialogue entre les deux pays. Alors que la région de l’Asie centrale fait face à une instabilité croissante suite à la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, les Etats du CCG pourraient avoir d’autres priorités à l’ordre du jour et d’aucun n’est très enthousiaste à l’idée de s’impliquer dans la crise entre l’Algérie et le Maroc. Les pays du CCG semblent plutôt se concentrer sur les développements régionaux au Moyen-Orient. Certes, les événements dans la région, comme la situation en Afghanistan et la dynamique diplomatique en cours à Baghdad entre Riyad et Téhéran et d’autres pays de la région, sont beaucoup plus susceptibles d’avoir un impact sur le Golfe que la crise Algérie-Maroc, considérée par le CCG comme grave, mais relativement localisée.
L’Afrique du Nord, théâtre de la compétition régionale
Les pays d’Afrique du Nord sont une passerelle clé pour le commerce et la connectivité Europe-Afrique, ainsi qu’un théâtre de compétition régionale de grandes puissances. Malgré la guerre par procuration menée en Libye par les grandes puissances, la concurrence régionale se manifeste. Conjuguée aux luttes politiques pour l’influence, de nombreux pays tentent de tirer parti du Sud de la Méditerranée comme point d’entrée sur les marchés européens et africains. L’Afrique du Nord revêt également une importance particulière pour son histoire contemporaine en matière de mouvements sociaux, souvent perçus comme une menace pour les acteurs du CCG et qui ont utilisé divers outils du «Smart Power» pour tenter d’exercer une influence en Afrique du Nord à la suite des manifestations du printemps arabe de 2011, en particulier en Libye et en Tunisie. L’Algérie a été la moins touchée par ces batailles par procuration en raison de son rejet sans complaisance de l’ingérence étrangère. Sur les questions de sécurité, alors que les acteurs du Golfe ont commencé à rechercher des interactions tactiques en Afrique du Nord telles que la crise libyenne, leur approche reste régie par le paradigme de la concurrence entre les EAU et le Qatar pour un expansionnisme d’obédience idéologique et de sécurité. Les intérêts sécuritaires de l’Afrique du Nord ne se limitent plus au Sahara et au Sahel. L’immigration clandestine, le trafic d’armes, des narcotiques et des humains ainsi que les conflits de faible intensité, ont fait résonner l’instabilité du Sahel en Europe, poussant l’UE et l’US-Africom à rechercher une plus grande coopération avec les pays d’Afrique du Nord pour contenir ces menaces et ouvrir la voie à une plus grande coopération sur d’autres questions de sécurité. Ces intérêts et préoccupations communs ne se sont pas traduits par des liens stratégiques profonds entre l’Afrique du Nord et les Etats du CCG. Une combinaison complexe de facteurs historiques, culturels et sociétaux rend difficile une plus grande intégration entre eux. Les Etats du Golfe ont, en effet, une présence sécuritaire en Afrique du Nord, illustrée par la demande du CCG à l’Otan d’intervenir dans la guerre civile en Libye en 2011, une première étape vers une plus grande participation à la sécurité au Maghreb sans la coordination des Etats-Unis. L’Algérie s’est opposée à l’intervention de 2011 de l’Otan en Libye poussée en partie par les États du CCG, préférant un règlement politique inclusif. Sa neutralité déclarée dans la crise du Qatar conforte sa posture d’intérêts diplomatiques et économiques mutuels avec Doha. De même, la réticence d’Alger à s’opposer au président Bachar al-Assad en Syrie, son refus de désigner le Hezbollah ou le Hamas comme des organisations terroristes et son abstention de la coalition saoudienne au Yémen a montré au Qatar qu’il peut tirer parti de son partenariat avec l’Algérie pour inciter le principal exportateur de gaz à utiliser sa politique étrangère indépendante et son levier stratégique pour tenir tête à l’agenda de Riyad et d’Abu Dhabi dans le Golfe. Cette posture stratégique a incité Rabat à renforcer ses liens avec l’Arabie saoudite dans une tentative de contrer Alger. Les liens entre l’Algérie et le CCG se sont améliorés au cours des dernières années. Pendant la crise diplomatique du Golfe, Alger a adopté une approche neutre visant à préserver ses liens avec toutes les parties. Malgré ce rapprochement, les pays du Golfe ont peu d’emprise sur l’Algérie, compte tenu de ses ressources naturelles et par voie de conséquence de son indépendance financière. Alger demeure irrévocablement ferme sur sa position pro-palestinienne et s’oppose au récent rapprochement entre certains pays arabes et Israël scellé par la signature des accords d’Abraham. Par ailleurs, le soutien des Etats du CCG au Maroc concernant le Sahara occidental n’est pas une nouvelle approche. Les Etats du CCG, l’Arabie saoudite en particulier, soutiennent le Maroc dans sa position sur la question du Sahara occidental pour un certain nombre de raisons. Tout d’abord, le lien CCG-Maroc est toujours resté fort, solidifié par leur besoin mutuel de protéger l’institution «monarchie». Ensuite, des pays comme l’Arabie saoudite se méfient toujours du Polisario, qui a reçu le soutien de ce qui est considéré par eux comme «les ennemis» du Royaume complété, également, par le fait que le Maroc s’est aligné avec les pays occidentaux et d’autres amis de l’Arabie saoudite. Enfin, l’Arabie saoudite et les EAU cherchent aussi à protéger leurs investissements sur le territoire du Sahara occidental en renforçant la position du Maroc sur ce territoire. En résumé, les intérêts du CCG en Afrique du Nord sont principalement façonnés par un désir d’influence politique, idéologique, de sécurité, d’investissement et d’une plus grande connectivité avec les marchés européens et africains. De façon plus générale, les pays d’Afrique du Nord sont considérés comme le point d’encrage clé vers des marchés stratégiques, ainsi qu’un grand théâtre de jeu d’influence politique. Il va sans dire que c’est dans cet esprit que la récente offensive diplomatique des pays du Golfe en direction de l’Algérie est intégrée.

Dr. Arslan CHIKHAOUI

Expert en Géopolitique
12-01-2022

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