Alors que l’élection présidentielle de 2020 approche, le président américain s’est séparé de son conseiller à la sécurité nationale, le très belliciste John Bolton, historiquement favorable à un changement de régime en Iran et à des frappes préventives contre la Corée du Nord.

Un «faucon» de moins gravite autour de la Maison-Blanche après le limogeage de John Bolton, resté 17 mois conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump. L’homme à la moustache, connu pour ses positions bellicistes, rejoint la longue liste des départs au sein de l’administration présidentielle.

Son retrait pourrait-il annoncer un tournant dans la politique étrangère de Trump? Cela aurait-il un sens alors que le mandat du président américain touche à sa fin? Le départ de John Bolton pourrait à cet égard avoir un parfum tout à la fois de bilan et de campagne.

● Un départ prévisible?

En 2016, Donald Trump défendait une politique étrangère à l’opposé de tout ce que représente John Bolton. Le candidat républicain déclarait regretter la guerre en Irak, vilipendait les «guerres inutiles» et défendait son «art du deal», quitte à négocier avec des dictateurs sans se boucher le nez. Il s’agissait d’une critique en règle du «néoconservatisme», cette doctrine transpartisane (bien qu’historiquement venue de la gauche américaine) qui n’hésite pas à plébisciter l’usage de la force (et de tous les vecteurs d’influence) pour exporter la démocratie et les droits de l’homme. Face à Hillary Clinton, Donald Trump passait davantage pour un isolationniste… à l’exception de la question iranienne pour laquelle le candidat républicain a toujours été inflexible.

John Bolton est à l’inverse un «faucon» de toujours, farouche partisan de la guerre en Irak, défendant sur Fox News, où il officiait avant de devenir le conseiller de Trump, un changement de régime en Iran et des frappes préventives contre la Corée du Nord. «On peut critiquer Bolton sur le fond, mais il croit, semble-t-il, à ce qu’il dit. Quand il annonce vouloir frapper Téhéran ou Pyongyang, ce n’est pas une formule rhétorique. Sa cohabitation avec Donald Trump ne pouvait donc être durable», estime un haut fonctionnaire français, proche des questions américaines.

● Avec Bolton, Trump pouvait-il ne pas savoir à quoi s’attendre?

Si l’aversion supposée de Trump pour l’usage de la force armée n’a pas réellement été démentie par les faits (à l’exclusion des frappes en avril 2018 contre le gouvernement de Damas), sa rhétorique souvent fleurie voire carrément violente a été révélée dès les premiers mois de son mandat par la crise nucléaire nord-coréenne, le président américain n’ayant pas hésité à menacer Pyongyang de «destruction totale». Avant d’opérer un spectaculaire retournement en mai 2018 lors de son premier sommet avec Kim Jong-un à Singapour, Donald Trump montrait ainsi qu’il n’hésitait pas à monter aux extrêmes, au moins verbalement. Cette pression politique doublée de sanctions économiques croissantes (dans le cas de Pyongyang, mais aussi de Téhéran) a rapidement pris le nom de stratégie de la «pression maximale». Une manière forte pour mieux négocier? C’est toujours ce qu’a semblé laisser entendre Donald Trump qui, dans chacun des principaux dossiers géopolitiques, de Pyongyang à Kaboul en passant par Pékin et Téhéran, a toujours laissé la porte des discussions au moins entre-baillée.

On peut penser que la présence de John Bolton et la mise en avant de ses rêves de frappes préventives contre les «États voyous» de la planète faisaient partie de cette stratégie, visant à donner de la crédibilité à la menace, alors que la réticence de Trump pour les interventions armées était de notoriété publique. «Bolton avait le profil idéal dans une conjoncture où il s’agissait de mener la guerre commerciale contre la Chine, de reprendre le rapport de force avec l’Iran et d’instaurer une tension avec la Corée», décrypte Cyrille Bret, maître de conférences à Sciences Po. «C’était peut-être un choix stratégique, mais je pense que Donald Trump est avant tout un impulsif. Il n’a pas besoin d’une doublure pour jouer le duo ‘Good cop, Bad cop’. Il arrive très bien à incarner les deux à la fois», nuance quant à lui le haut fonctionnaire.

● La stratégie de «pression maximale» a-t-elle fonctionné?

Reste que les années sont passées depuis l’élection de 2016 et les résultats de la stratégie de «pressions maximales» se font attendre. «Il reste encore plusieurs mois, mais l’heure d’un premier bilan approche pour Donald Trump. Ce n’est guère convaincant. Donald Trump apparaît pour ce qu’il est, un homme des médias, mais, sur le fond, il ne peut revendiquer aucune victoire claire», note-t-il. Des images fortes resteront effectivement, à commencer par celles de ses rencontres spectaculaires avec Kim Jong-un, mais, sur le fond, le dossier nucléaire nord-coréen n’a guère avancé. Comme le remarque la plupart des experts, la formule très floue de «dénucléarisation de la péninsule coréenne» n’a pas été suivie d’évolutions concrètes. En Iran, la situation ne peut être jugée meilleure qu’au moment de son élection, l’AIEA ayant toujours considéré que Téhéran respectait les termes de l’accord de 2015. Du côté de Kaboul, le président a mis spectaculairement un terme aux négociations avec les Talibans.

● Trump n’est-il pas piégé par les élections à venir?

Dans la perspective de l’élection de novembre 2020, la démission de Bolton fait sens. Il faut à tout prix au président américain réussir à passer des «deals» pour prouver qu’il a tenu ses promesses de campagne. Pressé par le temps, il n’a pas d’autre choix que de lâcher du lest et d’arborer un visage moins belliqueux que celui de John Bolton, note le New York Times , qui estime que Trump devra «retourner discuter avec les Talibans», accepter un «recul progressif des capacités nucléaires» de la Corée du Nord plutôt que d’une «dénucléarisation immédiate et complète», «réduire sa campagne de pression maximale» contre l’Iran. Autant de points qui font bondir les «néoconservateurs» les plus farouches à Washington. Mais, pourtant, c’est aussi la meilleure manière pour Donald Trump de retrouver le ton de sa campagne de 2016 quand il remettait en cause la politique étrangère américaine depuis la fin de la Guerre froide sur le thème: à quoi sert-il de jouer les gendarmes du monde sans contreparties sonnantes et trébuchantes? Bref, adapter l’«America First» à la géopolitique, mélange atypique de fermeté et de repli.

Le pari est loin d’être gagné alors même que la proximité des élections pourrait le fragiliser. «C’est son problème et son carburant: la campagne ne cesse jamais durant un premier mandat, explique Bret. Les grands bilans diplomatiques se font quand le président n’a plus à chercher sa réélection». Ses adversaires pourraient profiter de ce besoin absolu d’une victoire diplomatique pour obtenir davantage de négociations avec l’administration américaine. Pyongyang sait bien qu’un tir de missile intercontinental juste avant l’élection américaine représenterait un terrible camouflet pour le président américain. Sans aller jusque-là, ils pourraient jusqu’en novembre 2020 flirter avec les lignes rouges pour rappeler leur capacité de nuisance. Autre danger pour Donald Trump: que ses adversaires, résignés, patientent sagement jusqu’aux élections pour négocier en avenir moins incertain, ce que pourraient choisir de faire les Iraniens. «Je ne sais pas si c’est le cas de ses adversaires, mais c’est assurément celui de ses alliés, qui n’attendent plus rien de lui avant les élections», ironise le haut fonctionnaire français.

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